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« Nous devons faire la fête »

Notre réflexion pour la troisième semaine du Carême est écrite par Frère Alain Ragneneau, conseiller au programme Uzima pour personnes atteintes du VIH, qui est géré par la paroisse jésuite de St Joseph le travailleur de Kangemi, une banlieue de Nairobi.

Un dicton africain est resté planté dans ma mémoire comme un défi : « Les dieux sont un peu fous et si vous avez à cœur de les servir comme il se doit, il vous faut être un peu soûl vous-même ».

S’il ne me fallait garder qu’une seule page des évangiles, je choisirais celle du père qui fait la fête au retour de son fils parce que, pour moi, elle illustre ce dicton. Cette page de Luc ne cesse pas de m’étonner, de me questionner, de me provoquer, elle défie toute sagesse : comment un père peut-il recevoir sans un mot de reproche ce fils ingrat qui l’a symboliquement tué en exigeant sa part d’héritage alors qu’il est encore vivant ? Le père que Jésus nous présente n’est pas raisonnable, il est ‘faible’, et sa ‘justice’ est incompréhensible. Son affection paternelle l’aveugle : ne se rend-il pas compte combien ambigües sont les motivations de son fils qui revient au foyer parce qu’il souffre beaucoup plus de la faim que de la peine faite à son père ? Il n’est pas ‘juste’ d’égorger le veau gras réservé pour une célébration familiale annuelle et de faire la fête pour accueillir ce bon à rien. Le Dieu que Jésus nous révèle sera toujours étonnant, déroutant, dérangeant dans son amour inconditionnel qui ressemble si peu au notre.

Depuis onze ans que je côtoie des personnes infectées avec le virus du Sida, je suis témoin d’une souffrance cachée : celle de Paul. Il me disait comment il était resté fidèle à sa femme cultivant au village alors que lui peinait en ville pour payer la scolarité de ses grands enfants jusqu’au jour où il a eu une aventure avec une jolie jeune femme qui a tout fait pour ‘l’avoir’. Il est maintenant persuadé qu’elle voulait se venger de celui qui l’avait infectée en infectant autant d’hommes que possible. Lui, un homme respectable et respecté, il n’a pas eu le courage d’en parler à son épouse quand il est rentré au village pour Noël. Ensuite, c’était trop tard : elle a été infectée et a transmis le virus à leur dernier né. Bien sûr c’est ‘statistiquement normal’ d’avoir une maitresse en ville quand l’épouse est restée au village puisque beaucoup le font : les Media nous disent qu’à Nairobi un homme sur trois le fait. Mais ensuite il faut faire face à ces petits êtres innocents qui partent dans la vie avec un tel handicap. A l’adolescence ils se rebellent en silence ou posent des questions gênantes : « Pouvez-vous me dire comment il se fait que je sois né avec ce bagage là ? » Peu de couples en parlent, chacun porte sa souffrance en silence.

Où trouver la force de parler ? Où rencontrer un regard qui comprend, accueille, pardonne et redonne vie ? « Les collecteurs d’impôts et autres gens de mauvaise réputation s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter » car il leur redonnait espoir, son regard offrait amitié, compassion, redonnait confiance en eux-mêmes, il ouvrait un avenir en leur racontant la parabole incroyable du Père de Miséricorde. Ce père ne nie pas les erreurs et les fautes de son fils mais il entend aussi sa souffrance et veut au plus vite l’accueillir dans la communion retrouvée. Ce n’est pas un père en colère, c’est un père peiné par l’expérience douloureuse qu’a vécue son fils et surtout c’est un père si heureux de le retrouver vivant. C’est cela la ‘justice’ du père : « nous devions faire la fête et nous réjouir, car ton frère que voici était mort et il est revenu à la vie ».

C’est l’accueil sans condition du Père céleste qui donnera au mari le courage de faire face à sa mauvaise conscience et d’ouvrir le dialogue familial. Paul, et tant d’autres, pourront croire à cet accueil du Père s’ils font l’expérience avec nous, qui que nous soyons, d’un accueil sans condition, d’un regard qui ne juge pas mais reçoit avec compassion son frère en humanité blessée.

Pâque approche et ce sera la fête dans beaucoup de familles, puissions nous ouvrir nos portes et nos cœurs à une de nos sœurs, un de nos frères blessés, quelque soit la cause de ces blessures. Mon excuse pour ne rien faire est souvent de me dire que les ‘blessés’ sont si nombreux que en accueillir un n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la misère humaine, que ça ne fait pas une grande différence. Oui, mais pour celle ou celui qui est accueilli ça fait une grande différence. « A l’amour entre nous, Dieu ne s’ajoute pas : il s’y manifeste » (Bellet). Osons être ‘un peu soûl nous-mêmes’, sortir de nos habitudes pour accueillir comme un hôte en ce jour de Vie nouvelle celui qui ne l’attend plus ?

Après avoir fait tout ce qui est en mon pouvoir, comment ne pas être écrasé par l’immense foule des oubliés de l’Histoire, des victimes de nos institutions injustes, comment croire en un Père Miséricordieux pour tous ? Comment croire que la justice aura le dernier mot ? Dans sa belle lettre sur l’Esperance, Benoit XVI nous partageait sa conviction : « La question de justice constitue l’argument essentiel, ou du moins l’argument le plus fort, en faveur de la foi en la vie éternelle ».

J’y pense en me souvenant d’Esther qui a disparu de notre quartier depuis quelques mois. Elle n’a pas connu son père et très peu sa mère. Elle est simple d’esprit et doit se débrouiller seule dans la vie. Combien de fois a-t-elle été brutalisée, violée, humiliée ? Elle lavait bien du linge quand elle en trouvait mais recourait à la prostitution quand il fallait payer le loyer et la scolarité de ses enfants. Bien sûr, elle avait attrapé le virus du Sida. Sa vie était instable et elle déménageait presque tous les mois jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Je crois dur comme fer qu’en elle aussi existe une capacité à une vie plus digne, à une ouverture au Mystère de la Vie. Et je veux croire que pour Esther comme pour tous ceux qui ont eu une vie semblable, réduite, abimée, enlaidie et qui nous ont quittés, il y a une face cachée de la Vie, une dimension plus profonde de l’Humain ; que ce que j’ai pu ‘voir’ n’est pas le tout de leur vie, qu’ils connaitront enfin dans le Ressuscité la Beauté de leur identité profonde, leur nom gravé sur la ‘pierre blanche’ de l’Apocalypse.

Et c’est ma porte ouverte le jour de Pâque qui manifestera dans l’aujourd’hui cette Résurrection, et cette justice du « Dieu un peu fou » d’Amour. Que Marie, qui dans l’évangile de Jean ne parle qu’une fois pour venir en aide à ceux qui manquent de vin pour la fête, nous donne l’audace de festoyer.

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